Et si, après être passées de l’utilisation de nom­breux tam­pons et servi­ettes à l’unique moon­cup (dont Pam­pa te par­lait en vidéo la semaine dernière), les femmes sen­si­bles à la pro­tec­tion de l’environnement fran­chis­saient une étape sup­plé­men­taire ? Ne plus rien porter du tout ! C’est ce que ten­tent une poignée de jeunes con­ver­ties au « flux instinc­tif libre » (free flow instinct, en anglais), une pra­tique qui provoque autant la curiosité que le scepticisme.

 

Mais com­ment font-elles ?

Le « flux instinc­tif libre » con­siste en une con­trac­tion anatomique qui per­met de retenir le sang des règles à l’intérieur du vagin, pen­dant quelques min­utes, voire quelques heures. Les femmes qui l’expérimentent se reti­en­nent ain­si et vont aux toi­lettes lorsque le besoin s’en fait sen­tir. « C’est assez mys­térieux, explique Léna Abi Chak­er, 30 ans, la pre­mière Française à avoir van­té en ligne cette tech­nique. J’ai du mal à expli­quer com­ment cela marche con­crète­ment, mais pour moi, cela fonc­tionne. » Les gyné­co­logues y voient la con­séquence d’une con­trac­tion, non de l’utérus comme le sug­gèrent cer­taines dis­ci­ples, mais du périnée. « Exacte­ment comme [pour] l’urine », résumait la blogueuse Lilith, en 2013.

Ce n’est pas une pra­tique qui peut con­venir à toutes les femmes.  Béa­trice Guigues, gynécologue

« Je suis assez per­plexe, avoue Béa­trice Guigues, vice-prési­dente du Col­lège nation­al des gyné­co­logues et obstétriciens français. Peut-être cer­taines per­son­nes y parvi­en­nent-elles sans dif­fi­culté mais ce n’est pas une pra­tique qui peut con­venir à toutes les femmes. » Léa*, 22 ans, a testé cette tech­nique à deux repris­es, seule chez elle. « Je voulais ten­ter à la fois pour me sen­tir plus libre et par sen­si­bil­ité écologique. Mais je n’y suis pas arrivée et je n’ai pas vrai­ment per­sévéré, même si je suis con­va­in­cue que ça peut marcher. »

Sur le forum très pop­u­laire du site Madmoizelle.com, où des femmes peu­vent libre­ment échang­er (les hommes y sont inter­dits d’accès), les rares témoignages oscil­lent entre ten­ta­tives ratées (« je suis nulle ! ») et pre­miers essais ent­hou­si­astes (« j’ai telle­ment bien fait de ne pas avoir peur »).

Le free-flow instinct serait « un truc de mère au foy­er », cri­tiquent d’autres lec­tri­ces, un exer­ci­ce réservé aux femmes pou­vant se ren­dre aux toi­lettes facile­ment et rapi­de­ment. « Très pra­tique en réu­nion, lors d’un repas en amoureux ou au ciné­ma ! », iro­nise par exem­ple un des com­men­taires en ligne qui moquent cette nou­velle manière éco­lo de vivre son cycle menstruel.

Il y a une dimen­sion de défi dans le fait d’essayer de se pass­er de tout objet, de faire par soi-même. Carine Phung, adepte du flux instinc­tif libre

« On peut mix­er cette tech­nique avec l’u­til­i­sa­tion d’une pro­tec­tion, rétorque Clé­mence*, 34 ans, pro­fesseure dans un lycée de la région parisi­enne. Je garde un pro­tège-slip durant mes règles et je fais des pro­grès lente­ment. Aujourd’hui, 70% de mon flux finit dans les toi­lettes. » Avant de pré­cis­er qu’elle souhait­erait à terme « pou­voir se pass­er totale­ment de pro­tec­tion. » « Il y a une dimen­sion de défi dans le fait d’essayer de se pass­er de tout objet, de faire par soi-même, ajoute Carine Phung, une jour­nal­iste de 38 ans. Et puis, sup­primer les pro­tec­tions hygiéniques est aus­si une manière de vivre mieux sa péri­ode de règles. »

 

D’où vient ce mouvement ?

Il est dif­fi­cile de déter­min­er pré­cisé­ment les orig­ines de cette ten­dance. Elle sem­ble venir des Etats-Unis où, dès 2004, l’idée appa­raît sur des blogs féminins. Puis, elle s’implante au Roy­aume-Uni. « Cela fait au moins huit ans que le sujet est en dis­cus­sion ici, observe l’historienne bri­tan­nique Shar­ra Vos­tral, qui a men­tion­né cette tech­nique dans son livre Under wraps : a his­to­ry of men­stru­al hygiene tech­nol­o­gy (Row­man and Lit­tle­field, 2008, non traduit). Mais on n’en par­lait pas autant que sur les réseaux soci­aux, récemment. »

J’ai décou­vert, épous­tou­flée, que je n’avais qua­si­ment pas eu de fuite.Léna Abi Chak­er, con­ver­tie au free-flow instinct

En France, il faut atten­dre 2012 pour que Léna Abi Chak­er poste un arti­cle-guide sur le sujet« J’ai décou­vert cette tech­nique alors que je fai­sais de la ran­don­née, il y a cinq ou six ans, racon­te cette écrivain et jour­nal­iste. Mes règles sont arrivées et je n’avais rien sur moi pour faire face, je me suis donc retenue jusqu’à la fin de la ran­don­née. Et j’ai alors décou­vert, épous­tou­flée, que je n’avais qua­si­ment pas eu de fuite. Puis, j’ai réitéré l’expérience et j’ai décidé de la partager. Je voulais dire aux autres femmes que c’était pos­si­ble. » 

La blo­gosphère a pris le relai et s’est chargée de faire l’éloge du « flux instinc­tif libre ». Cer­taines blogueuses – comme Lilith ou Aurélia Dabon de La Voix d’Anna – accom­pa­g­nent leurs con­seils d’un dis­cours tein­té de spir­i­tu­al­ité et d’ésotérisme, où l’on val­orise « la mère divine » qui « vit plus en con­tact avec la nature » et où l’on préfère l’expression « sang des lunes » à men­stru­a­tions. Un jar­gon rail­lé par des inter­nautes plus cartési­ennes. « C’est vrai que ce ton un peu hip­pie peut rebuter cer­taines femmes », admet Léna Abi Chaker.

« Notre créa­teur, il nous a conçues, nous les femmes, pour ne pas être dépen­dantes de pro­tec­tions hygiéniques », pou­vait-on aus­si enten­dre, il y a quelques mois, dans le témoignage d’une cer­taine Mari­na. La vidéo YouTube, qui a depuis été sup­primée, a nour­ri la méfi­ance de nom­breuses spec­ta­tri­ces. D’autres blogueuses – telle Mini, sur sa page Les Cheveux de Mini – ont été agacées de voir une référence à Dieu décrédi­bilis­er un procédé éco­lo qui les a convaincues.

 

Pourquoi se pass­er de pro­tec­tions hygiéniques ?

Les adeptes du free-flow instinct sur­fent sur deux types d’arguments pour pro­mou­voir la pra­tique. Le pre­mier, d’ordre fémin­iste, con­siste à encour­ager les femmes à devenir « maîtress­es de [leurs] corps », comme le vante par exem­ple le blog féminin De fil en tar­tine. Le sec­ond est envi­ron­nemen­tal : utilis­er des tam­pons et servi­ettes oblige à une con­som­ma­tion en nom­bre. Selon une étude améri­caine parue en 1995, une femme utilise en moyenne 11 400 tam­pons dans sa vie. « Après treize années à jon­gler entre servi­ettes lavables et coupe men­stru­elle, j’ai préféré faire con­fi­ance à mon corps et me pass­er de tout instru­ment. Cela a fonc­tion­né dès le pre­mier coup, retrace Carine Phung, qui a changé ses habi­tudes il y a quelques années, au terme de ses trois grossess­es, et ce « sans même avoir fait de réé­d­u­ca­tion périnéale ».

Par ailleurs, les pro­tec­tions hygiéniques ont de plus en plus mau­vaise presse. Ce mois-ci, 60 mil­lions de con­som­ma­teurs a pub­lié une enquête dans laque­lle le mag­a­zine affirme que ces sup­ports féminins con­ti­en­nent des diox­ines, du glyphosate et d’autres pes­ti­cides. Des sub­stances « poten­tielle­ment tox­iques » en con­tact avec des muqueuses intimes. Une péti­tion sur Change.org, récla­mant que la mar­que-leader Tam­pax pub­lie la com­po­si­tion de ses pro­duits, a déjà rassem­blé qua­si­ment 450 000 signataires.

 

Est-ce sans danger ?
Garder son sang dans le vagin, c’est moins hygiénique que de porter un tam­pon ! Del­phine Hudry, gynécologue

Ne pas laiss­er son corps écouler le sur­plus de sang qu’il rejette ne serait pas idéal, esti­ment pour­tant cer­tains gyné­co­logues. « Garder son sang dans le vagin, c’est moins hygiénique que de porter un tam­pon », rel­e­vait il y a quelques mois, Del­phine Hudry dans un arti­cle paru sur le site Rue89« Sur une durée courte, une ou deux heures, cela ne com­porte pas de risque, mod­ère Béa­trice Guigues. Mais au-delà, en revanche, cela pose prob­lème. » Aucune des femmes inter­rogées par Pam­pa ne se plaint de douleurs spé­ci­fiques ou d’effets sec­ondaires causés par l’adoption de cette nou­velle méth­ode. « J’ai même l’impression que la péri­ode sanglante de mes règles s’est réduite, con­fie Clé­mence. Avant, cela durait 4 jours et désor­mais, 2 jours seule­ment. » Mar­tin Winck­ler, l’auteur du roman Le Chœur des femmes (P.O.L, 2009) dans lequel un gyné­co­logue apprend son méti­er et guide ses patientes, qui pra­tique sous son vrai nom, Dr. Marc Zaf­fran, estime que cette tech­nique « doit rester une pos­si­bil­ité sup­plé­men­taire pour cer­taines femmes. Testez et voyez ! Mais il ne faut pas vous cul­pa­bilis­er si vous n’y arrivez pas. »

 

* Les prénoms ont été modifiés.

 

Le free-bleed­ing, expéri­ence plus radicale

Les images, repris­es par la presse bri­tan­nique et améri­caine, la mon­trent radieuse, sa médaille autour du cou, en tenue de sport corail et l’entrejambe ensanglan­tée. Kiran Gand­hi, une musi­ci­enne de 26 ans, diplômée de Har­vard, a don­né, en août dernier, une vis­i­bil­ité soudaine à un nou­veau mou­ve­ment du fémin­isme anglo-sax­on : le free-bleed­ing. Il s’agit, comme pour le « flux instinc­tif libre », de se pass­er de toute pro­tec­tion hygiénique. Mais de laiss­er, cette fois, le flux des règles s’écouler libre­ment, sans le retenir ni mas­quer les tach­es qu’il dessine.

Pre­mier argu­ment : la femme doit se libér­er des « inven­tions mas­cu­lines » que con­stituent les tam­pons et ne pas avoir honte de ses men­stru­a­tions, ce tabou des sociétés occi­den­tales. « Le dia­logue à pro­pos de nos pro­pres corps ne nous appar­tient pas », a regret­té Kiran Gand­hi pour expli­quer son hap­pen­ing.

Sec­ond argu­ment : il n’y a pas plus écologique et naturel que de laiss­er son corps faire ce qu’il veut. « Le free-bleed­ing est entière­ment naturel. Il a zéro empreinte car­bone, et béné­fi­cie autant à la san­té des femmes qu’au bien-être de la planète », défend l’administrateur d’une page Face­book dédiée “likée” par plus de 2000 per­son­nes, qui souhaite con­serv­er l’anonymat. Selon lui, cette pra­tique peut intéress­er des per­son­nes sen­si­bles à la défense de l’environnement, « ceux qui déjà, com­pos­tent, recueil­lent l’eau de pluie, recy­clent, etc. »